Interview Jeanne BOUDRY (présidente)
Quelles sont les missions qu’exerce le syndicat ?
Jeanne BOUDRY (JB) : Selon nos statuts, il a pour objet l’exploitation des ressources en eau pour assurer sa distribution sur l’ensemble des communes membres. Avec la possibilité de dépanner d’autres collectivités via des intercommunalités, lorsque l’on arrive à subvenir à nos besoins. Nous avons donc pour mission la réalisation des ouvrages nécessaires à la distribution de l’eau et leur entretien, le renforcement et le renouvellement du réseau et la facturation de l’eau. Tout ce qui est gestion technique du réseau, du patrimoine et du matériel.
Nous avons élargi ce cadre depuis quelques années, avec notamment la protection de la ressource. Sur les précédentes mandatures, des traces de pesticides dans l’eau étaient apparues, et le captage avait été classé prioritaire par l’agence de l’eau. A ce titre, nous avions bénéficié d’aides pour la mise en place d’une animation du plan d’actions agricole. Nous avons décidé de maintenir cette animation avec la chambre d’agriculture, malgré l’arrêt des subventions de l’agence (la qualité de l’eau étant considérée comme restaurée). Nous essayons plutôt d’intensifier cette animation : initialement la commande à la chambre d’agriculture portait uniquement sur les pesticides, puis nous avons ajouté une réflexion sur les fertilisations azotées. Nous payons des mesures de reliquat (prélèvements servant à déterminer l’azote disponible dans le sol pour les plantes), à 3 périodes de l’année, ainsi que des analyses d’effluents, ce qui permet aux agriculteurs d’avoir une meilleure maîtrise de leurs apports en fertilisant, en fonction des besoins des cultures.
Nous avons depuis 3 ans un règlement de minimis (règlement permettant à une collectivité de verser directement de l’argent à une entreprise), grâce auquel nous payons les semences et, depuis cette année, la mise en place d’un couvert végétal en intercultures. Cela permet de limiter la charge supplémentaire occasionnée pour les agriculteurs. C’est un travail sur le long terme, sans imposer (puisque la qualité de notre eau est bonne), mais en incitant à l’adoption de pratiques vertueuses.
Sur le volet quantitatif, nous avons réalisé des réunions d’information avec nos abonnés sous forme de jeux, pour répondre aux questions : « D’où vient l’eau qui arrive au robinet ? Comment surveiller et limiter sa consommation ? » Le gros de notre travail, ce sont nos travaux de réseaux. Depuis la création du syndicat, une politique de renouvellement a été mise en place, dans l’objectif de maintenir le bon état des réseaux. Cela représente environ 1M d’€ de budget travaux chaque année. Nous avons fait également un emprunt d’1M d’€ pour augmenter la proportion de travaux réalisés d’ici 2026, avant le transfert de compétences.
Comment la démarche est-elle reçue de la part des agriculteurs ?
JB : Les 1ères fois, l’accueil n’était pas très enthousiaste : la qualité de l’eau est bonne, alors pourquoi chercher à laver plus blanc que blanc ? Aujourd’hui nous travaillons plutôt bien, au moins avec quelques-uns qui viennent régulièrement aux comités de pilotage. Nous avons mis en place le climat de travail, en clarifiant notre objectif : la protection de la ressource, et notre intention : contribuer, y compris financièrement, à maîtriser la charge de travail induite. Aujourd’hui les réunions sont constructives et chaleureuses. Et sur les 11 agriculteurs de notre territoire, 4 sont vraiment impliqués, ceux qui ont une partie conséquente de leur exploitation sur l’Aire d’Alimentation du Captage.
Qu’est ce qui a orienté votre choix vers la DSP* ?
JB : C’est un sujet à la fois très ancien et d’actualité. La DSP* est en place depuis très longtemps, puisque ce sont 4 contrats de 12 ans qui viennent de s’achever. Elle arrive à expiration au printemps prochain, donc le renouvellement est en cours. Si nous voulions passer en régie, il faudrait se doter de moyens et de services que nous n’avons pas, comme d’un SIG*, un service technique, juridique, comptable, etc. En tant que petit syndicat, nous avons des frais de fonctionnement minimes, qui augmenteraient de façon importante s’il fallait intégrer tous ces services sans mutualisation.
L’analyse financière réalisée par l’agence départementale qui nous accompagne, a montré que l’écart financier serait de 5 % en faveur de la régie, en assumant, entre autres, la responsabilité juridique de la gestion du service. Cette responsabilité repose aujourd’hui sur le délégataire. La DSP* est donc un système qui convient à notre structure aujourd’hui.
Quels sont les enjeux de la gestion de l’eau sur votre territoire ?
JB : Nous avons la chance d’avoir une ressource abondante et de qualité. Nous n’avons jamais eu de souci sur l’alimentation en eau, ni en quantité, ni en qualité, y compris pendant la sécheresse de 2003. Étant déchargés du côté de la ressource, nos investissements vont donc dans le réseau. C’est une situation très confortable.
Les enjeux de la gestion de l’eau sur notre territoire sont donc de pérenniser cette situation. Seule question restant en suspens : les recherches d’une ressource alternative n’ont pas abouti à une option satisfaisante. Nous avons aussi travaillé sur la vulnérabilité de la ressource, et plus précisément les risques de pollution ponctuelle, puisque notre captage est en bordure de route. Les pompiers nous ont rassuré sur la rapidité de leurs interventions et l’efficacité des mesures prises : barrages filtrants, évacuation des sols pollués, etc. L’enjeu est donc la préservation dans le temps de cette eau.
Quels sont le rendement et le taux de renouvellement des réseaux ?
JB : Nous sommes passés de 1 à 3 % environ de taux de renouvellement, après l’emprunt réalisé. Ce sont des chiffres à relativiser : le montant des travaux se répartit différemment selon qu’on travaille sur du transit en plein champ ou sur des branchements en ville. En effet, le syndicat prend à sa charge les travaux nécessaires pour sortir les compteurs des propriétés privées et renouvelle le branchement à neuf jusqu’à l’emplacement de l’ancien compteur. Ce sont des coûts conséquents, mais qui ne sont pas comptabilisés dans le renouvellement des linéaires.
Pour le rendement, nous fluctuons entre 72 et 74 %. A relativiser aussi : nous avons 1 relevé par an, au printemps. La facturation du mois de novembre est une estimation, basée sur la moitié de la consommation du printemps.
Quid de votre équipement : sectorisation, télérelève ?
JB : La sectorisation est complète : nous avons une 50aine de compteurs sur l’ensemble du réseau. Pour la relève à distance, télé ou radio, nous allons demander le chiffrage, mais nous sommes globalement assez partagés sur le rapport coût/bénéfice pour l’abonné. Si on est sûr de la télérelève, combien d’antennes ? Quelle quantité d’ondes ? Combien de points de rendement ? Est-ce que ça vaut le coût ? Quel bilan carbone pour toute cette technologie ? Le territoire est très étendu, donc cela voudrait dire beaucoup d’antennes. Il faut aussi intégrer à la réflexion le temps de travail nécessaire pour traiter ces données, qui, d’une certaine façon, reste à la discrétion de l’exploitant. La collectivité doit pouvoir avoir un regard sur ce temps et sur l’efficacité de l’exploitant qui en découle.
La ou les plus grande.s réussite.s du syndicat sur les dernières années ?
JB : Le syndicat a été créé en 1974. Depuis, c’est un service d’eau qui fonctionne, qui a toujours assuré la distribution de l’eau à ses abonnés, sans gros souci. C’est une structure qui assure ce pourquoi elle a été créée. Et nous avons un patrimoine en bon état. Au bout de 50 ans d’existence, c’est déjà une belle réussite en soi.
Autre constat positif : le comité syndical et les délégués sont très investis, nous avons des réunions réellement constructives avec du débat, des échanges. Tous ont le même niveau d’information sur les dossiers et sont très présents sur le terrain. A l’échelon local, c’est une vraie gestion démocratique qui est à l’œuvre et une vraie réussite.
Ce serait dommage que cette structure disparaisse, car elle satisfait tous ses adhérents. Nous avons la force de l’intercommunalité : on a pu par exemple effectuer 200 000 € de travaux sur un petit hameau qui avait des problèmes de pression, on a changé l’antenne qui les alimentaient. La commune seule n’aurait pas pu effectuer ces travaux. Nous avons un prix de l’eau qui n’est ni faible, ni prohibitif. Malgré tout, étant sur une seule communauté de communes, nous allons probablement être absorbés par la CC*. Nous n’aurons plus la main sur le budget, les travaux, le prix de l’eau…
Quels sont les projets à venir pour le syndicat ?
JB : Si nous avons la possibilité de faire perdurer le syndicat, nous le ferons. Et dans le cas contraire, nous effectuerons le maximum de travaux. Et nous tâcherons de laisser à la CC* en 2026 une visibilité en termes de planning, de budget et de travaux à venir. Le travail autour du transfert des compétences avec les 66 communes de la CC* sera conséquent, ils apprécieront donc de pouvoir se concentrer dessus dans un 1er temps, notamment sur les 18 communes en régie.
L’ASCOMADE pour vous c’est quoi ?
JB : Pour moi, via les mails d’information, c’est une veille technique, juridique et sociale qui est très importante. Cela permet de se tenir au courant. Ces alertes sont aussi des piqûres de rappel, sur des choses à chercher, à creuser. Aller voir ce qui se fait ailleurs, ou autrement.
C’est aussi la force d’un Réseau que l’on peut solliciter quand on rencontre une problématique, ce qui permet de ne pas « réinventer la poudre ». C’est agréable de pouvoir poser des questions et obtenir des réponses. Je regrette que les alertes sur le Forum ne fonctionnent plus, parce que c’était aussi riche de voir les échanges en direct avec techniciens, élus, tous les points de vue différents.
On n’utilise pas tous les outils sur le moment, mais on sait qu’ils sont là en cas de besoin. J’ai déjà pu contacter des personnes, et obtenir des documents, à la suite d’échanges, cela fait gagner un temps précieux.
* SIG : système d’information géographique / CC : communauté de communes / AC : assainissement collectif